L’hippocampe de Foulpointe

Foulpointe m’accueille un matin d’été.
Foulpointe, le village exotique en bord de mer à l’Est de l’île, là où les écrevisses frémissent dans l’huile sous les cocotiers.
Distillant encore les traces odorantes des filets de pêche d’une nuit sans étoile, un pêcheur décati dans sa pirogue défraîchie grappille ses derniers instants de sérénité. La peau tannée, la barbe et les cheveux blancs – tel le négatif d’une photo – il regarde se dissiper les derniers nuages effilochés. Mais ses yeux globuleux soulignés de pommettes saillantes rappellent un hippocampe. La soupe de poisson de la veille ne lui a laissé que le souvenir d’un lointain festin. Ses doigts ridés ont besoin de toucher des billets verts. L’hippocampe ne rêve même plus de partir à la conquête du monde à moto.

Nos regards se croisent, il ose alors me proposer un forfait découverte serpents et concombres de mer, pour la somme rondelette de 15,000 Ariary.
— Alors ? demande-t-il, haussant un sourcil broussailleux presque las.
Alors commence la traversée à bord du frêle esquif, rythmée des clapotis des vagues contre la coque. Ce silence ennuie l’hippocampe. Lui, aurait aimé ouïr le rugissement dans un jet de sable d’une Yamaha Sport Touring Tracer 900 moteur trois cylindres, et voir fuir à grande vitesse au cœur de son rétroviseur, ce paysage monotone et sans intérêt. Mais il aperçoit plutôt frémir à la surface de l’eau le reflet de ses biceps, pendant qu’il s’active à propulser l’embarcation vers le bleu d’un horizon où il ne se passe jamais rien. Oui, jamais rien ! Pendant ce temps, le village dormant s’éloigne de nous.

L’hippocampe immobilise subitement sa pirogue. Pour cueillir le serpent et les concombres de mer – mais aussi afin d’espérer sentir froufrouter les billets verts entre ses doigts – il doit marcher dans les eaux marines incertaines. Alors, tel un champion de motocross vainqueur du Grand Prix de la dernière saison, il exhibe son trophée : le corps mou et dégoulinant d’un étrange serpent qui pend à la manche de sa pagaie .
— Serpent de mer, annonce-t-il.
Flash d’un appareil photo.
Puis la paume de ma main accueille un corps vert oblong de la taille d’un concombre.
— Concombre de mer, poursuit-il.
Enfin, des oursins aux piquants pointés vers le ciel, l’est l’ouest le nord et le sud, rejoignent la collection de trouvailles.
— Oursins. Saviez-vous que le noir est un mâle et la mauve une femelle ? dit l’hippocampe, gouttant de perles d’eau.
— Merci l’ami … Je ne savais pas.
Et il disparaît à nouveau sous l’eau, puis resurgit armé d’une demi-douzaine de coquilles hérissées.
— Rajoutez 10,000 Ariary si l’aquarium vous tente, Mademoiselle.

— L’aquarium ?

— Les eaux profondes où fusionnent des poissons multicolores.
Sourire vorace au coin des lèvres, Hippocampe rame à nouveau, tandis que le soleil répand sur les eaux profondes les rayons impassibles d’une fureur incandescente.
Et tout à coup, d’un coup sec d’une pale de pagaie, les oursins partent en mille morceaux. Hippocampe jette à l’eau les miettes épineuses et prie en silence pour que les poissons, tout comme lui, n’aient pas encore déjeuné. Il angoisse un peu … Houhou … y a quelqu’un ? Oui, et comment ! Poissons zébrés et horde de petites nageoires multicolores répondent à l’appel, foisonnant en surface.
Hippocampe, victorieux, pense déjà au futur bol de riz garni pour sa famille.
Alors, il tente sa chance, même s’il sait qu’il ne chevauchera jamais sur sa Yamaha Sport Touring Tracer 900 moteur trois cylindres.
— Pour le forfait étoiles et dragons de mer, ce sera 20,000 Ariary en plus.

Comment entretenir l’amour ?

Beaucoup se posent la question : comment entretenir l’amour ? Et s’épanouir, sans le fil à la patte ? Le tout en 5 leçons.

Leçon n°1 :  offrir une fleur, le petit plus qui fait la différence

– Une rose pour la jolie demoiselle ?
– Non, c’est gentil merci on a déjà couché.
Erreur. Avec des fleurs et un poème, on peut voir la vie en (p)rose. Bon okey, ça ne marche pas toujours, et puis, de fil en aiguille, on peut vite tomber sous le charme du/de la fleuriste. Et c’est là qu’on perd facilement les pétales.
Le bouquet quoi, mince alors !Lire la suite »

Quand le chapati, les saris dansent

souricetteMa participation dans Défi n°163 des croqueurs de mots :
« Sur une photo de Cezary Wysynski (National Géographic) :

Racontez une p’tite histoire en prose ou autre… poésie, haïku, etc, à votre guise !
(…) A vos belles plumes, je « conte » sur vous !
Que ce souriceau se fasse muse, j‘aurai plaisir à venir vous lire, oh ouiiiii ! »

 


« Quand le chapati, les saris dansent »

Avouons, quand on naît indienne, qu’on est belle et qu’on s’ennuie comme un rat mort, il n’y a pas trente six solutions : oublier ses chapatis, le temps de jouer avec quelques clics de souris.
Oui mais est-ce raisonnable ? Et pour quoi faire ? Chatter ? Avec qui ?
Enfin, avec qui ne pose pas problème, vu toutes ces fenêtres qui clignotent : « Salut ! Je suis un rasta de bibliothèque, devenu rasta d’église ».
Surtout, ne pas cliquer sur cette fenêtre. Ne-pas-cliquer.
Hélas, quand on naît indienne, avec l’envie soudaine de raccourcir l’ourlet de son sari, difficile de ne pas se laisser tenter.
— Salut …
— Hey toi, ça te soûle aussi, les rastas des villes et les rastas des champs ? Bonjour, mon petit rat de l’Opéra.
— Un affable de La Fontaine ?
— Aha, mais je peux tout aussi bien devenir le vilain gros méchant rasta dégoût, si tu veux.
Hélas, quand on n’est qu’une souricette, il est fort difficile de s’aventurer en terrain minet miné.
— Non merci …
— Et pourquoi ça ?
— Disons que … je ne suis qu’une souricette.
— Ah. Alors, de quoi parlons-nous ? De mes dreadlocks ?
Aïe. Là aussi, surtout ne pas tomber dans le piège de la réponse fatale : « ils ressemblent à des queues de rat ».
Moui, qu’on l’admette : quand on n’est qu’une souricette, on regrette vite la tournure que prend ce genre de chat instantané. Alors, vite ! Fermer la fenêtre.
— Oh, dommage ma souricette. Eh oui, comme on dit, pierre qui roule n’amasse pas … mouse.
Et quand on naît indienne, ne jamais risquer de terminer le tchat par « hindou bisou ».
Surtout si le futur mari espionne. Au secours !
— Bonjour ma chérie. Alors comme ça, quand le chat est parti, les souris dansent ?
Et flûûûtaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaiiiiiiiiiin …
Oui c’est comme ça que, sur un (innocent ?) clic de souris, on est fait comme un rat.
— Oui ma chérie. Souris ! Tu es filmée.
Cheese.

Ara la touffe (novelette)

Ceci est l’histoire courte, d’un ara qui rit.

gravures_couleur_oiseaux_-_ara_araraunaAu pays du Soleil Levant, le tourbillon de foule et d’odeurs s’embrouille dans les ruelles diaprées de la place du marché. Il est là, l’ara qui rit, sur son perchoir au fond de l’animalerie.
— Konichiwa, dis-je au vendeur narcissique qui se coiffe la barbichette. Je viens pour l’ara.
La barbichette s’étonne.
— Vous avez rendez-vous avec le Sensei ?
— C’est moi qui ai téléphoné ce matin. En réponse à votre annonce parue dans Le Petit Journal Tokyo.
Ah, quand on parle du loup on voit saké !Lire la suite »

Quand nos ailes ont des aéroports

Contrôle immigration de la Police de l’Air et des Frontières. Bruit sec d’un cachet. Visages fermés, regards froids et impersonnels. De l’anémie dans la voix. Un sourcil haussé, à peine surpris.

– Dites donc … il est très mal en point votre bouquet.

Je laisse glisser mon regard sur mes roses flétries, aux pétales noircis et raidis par le temps. Suis-je ridicule ? Non. Un souvenir, que je jette sur le chariot qui roule vers le tapis bagages. Quelques feuilles sans vie s’en détachent, froissées ; déjà plus rien ne reste de ce pays que quelques souvenirs, ce bouquet mort, des photos qui rient dans ma clé USB, et l’étiquette colorée qui flotte sur mon sac de voyage, dérivant au loin, sur le carrousel sans bruit.

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Wildfeeling

Attention, l’histoire courte que vous vous apprêtez à lire est, comme l’ont qualifié les lecteurs :

FlohennonFlohennon


Comme un taille-crayon, tes mots acérés ont fini par rendre pointue sa fureur de t’abandonner dans ta chaise roulante. De laisser brûler ton steak sans sel sur le feu. Et enfin se poser sans culpabiliser sur ton conga des carnavals de Cuba pour écouter ses doigts courir sur la peau de bête épaisse et odorante, le long de la texture polie et unie de la latte de bois.
– Vincianne ! Ça sent le brûlé !
Au fond, ce conga est une invitation à un wildfeeling, surgissent de son passé lointain des nuits enflammées et endiablées en plein cœur de l’Afrique, des fragments de souvenirs en transe des danseuses tribales.
– Nom de Dieu, Vincianne !! Ça crame !
Elle voit soudain les anciens, ils font griller des graines de courge sur un feu, retraçant tout le voyage d’une culture, la célèbre cérémonie d’initiation Bwiti d’un peuple du Gabon. Pendant qu’elles crépitent et éclatent, les anciens expliquent que ce rituel évoque le départ de l’esprit. Mais ce bruit est si réel que Vincianne se retrouve happée dans une effervescence de moiteur. Elle entend ta voix étouffée dans les braises qui appellent, alors qu’elle aperçoit les anciens qui vont à la rivière où une pirogue posée sur l’eau brandit une torche allumée de résine d’okoumé. Elle se souvient qu’il s’agit d’une pratique qui symbolise encore le voyage de l’esprit vers le soleil couchant. Elle vous voit toi et elle, dans les flammes maléfiques de la torche, les images de vos trente années de vie commune défilent … et partent en fumée. Les anciens et les souvenirs s’estompent soudain, révélant dans leur extraordinaire atrocité les flammes qui lèchent les murs, les tableaux, et tout ce qui reste de votre demeure.
Puis, une immense paix vient enfin s’emparer de son être.

***

Pourquoi ? Mais pourquoi sa nuit paisible est tourmentée par cette lumière crue qui tergiverse dans l’opacité des ombres ? Elle voit une lumière floue transperçant l’obscurité, un gyrophare. Des hommes en blanc sont penchés sur elle. Ambulanciers ? Ils poussent en courant une civière sur laquelle elle est couchée. Tout à coup, elle arrache son masque à oxygène, et s’entend appeler son mari.
Mais personne ne répond.
Se serait-il tu à jamais ? N’aurait-elle plus à ramasser telle une esclave, les épluchures de son taille-crayon ? Et elle aperçoit une dernière fois, le souvenir de son rictus.

Katsepy, le bout de terre au soleil couchant

Hugo comptait passer une journée d’excursion à Katsepy, à trois quarts d’heure de traversée en mer au départ de Majunga, Madagascar. Il rêvait de village sauvage arrosé de rhum arrangé au sucre de canne. Se voyait déjà mordre dans les beignets ronds de l’épi-bar de la plage.

Hélas, ses rêves prirent le large … bien avant lui.


–     Excusez-moi, cria-t-il, c’est bien le ferry boat en partance pour Katsepy ?
Pas de réponse, bonne réponse.
Les manutentionnaires couleur cacao s’affairaient autour de la cargaison, pendant que le dernier Sportero avançait sur la rampe amovible pour s’immobilier dans la cale.
Pourquoi Hugo voulait-il absolument se rendre à Katsepy, au juste ?
Espérait-il que la bête photo de ce ferry rouillé aux allures incertaines amasserait une bonne dizaine de coeurs roses sur son Twitter … ? Sans doute.
Cependant, comme les passagers commençaient à embarquer sur le pont, Hugo se décidait à se fondre dans le décor, dans le flot d’îliens couleur cacao et de touristes d’ici et d’ailleurs.
Et il y eut elle, au bord du quai grouillant de monde, sous la chaleur écrasante.
En tresses africaines, le regard perdu dans la mer.
Elle, cette îlienne roulée dans un lamba paréo couleur rouille.
Et Hugo qui aimait les ratatouilles.
Mais il ne pouvait hélas que la coucher sur papier.
Il vit un papillon se poser sur la bandoulière de sa besace.
Mais son regard ayant certainement dû lui brûler la peau, elle tourna la tête et leurs yeux se croisèrent.
–      Salut Bella, fit Hugo.
–      Bonjour Monsieur.
Long silence.
Puis Bella parla.
–      Ton sac, Monsieur. Il est … tailladé.
Lèvres rouges cerise sur peau chocolatée.
–      Pardon ? Vous me parliez ?
–      Je dis que ton sac à dos là, il est tailladé.
Oh ! Mais comment … ? Dans un long soupir, il le posa à terre, ce sac à dos tailladé.
Ok.
–      ET QUI EST L’ENFLURE QUI A OSÉ ??
Il avait hurlé si fort que le papillon s’envola.
Si fort que les tresses africaines frisèrent le ridicule.
Et maintenant, je fais quoi ? fulmina intérieurement Hugo. C’est incroyable, moi qui suis venu m’offrir de vraies aventures … Je ne m’attendais pas à ce que l’on m’accueillît à draps ouverts certes, mais me voici bel et bien dans de beaux draps ! Il maudit le ciel. Traitait les saints de tous les noms. Pleurait de dégoût.
–      Mais Monsieur, est-ce la fin du monde ? Il y avait quoi dans ce sac … ?
Ce fut la douce voix de Bella.
–      Mon sandwich au saumon, ma canette de bière et mes cigarettes !
Silence.
–      La prochaine fois Monsieur, oublie le ferry-boat. Je crois que Monsieur est fait pour les catas marrants.
Sur ce, Bella disparut dans le tourbillon de foule couleur cacao.
Hugo n’avait plus un rond pour se payer son excursion.
Plus jamais il ne la reverrait.
Il ne sut même pas son nom.

En avance d’humeur

« Foie gras poêlé aux légumes sautées. C’est chez moi en soirée. »

Status : SMS sent.

Enfin seule avec son thé glacé à la pêche, elle se cala confortablement contre ses coussins et ouvrit son best-seller – “L’œil du témoin” de Sharon Sala – qu’elle commença à dévorer … Jusqu’à ce qu’un appel entrant vînt l’interrompre – précisément à la page 32 où la balle indolore provenant d’un coup de feu propulsa son héroïne dans la neige sur le trottoir.
Alexandre en ligne.
–  Salut mon ange ! En quel honneur cette invitation ?
En vérité, le spécimen était d’une jalousie maladive.
–  Eh bien, disons que nous sommes tout simplement lassés du quotidien, et qu’un peu de couleur dans l’assiette ne ferait pas de mal …
–  J’ignorais que tu cuisinais du foie gras poêlé, chérie.
–  A dire vrai … Un cuisinier me donne un coup de main. Bon, autant te dire de suite que notre cordon bleu roule en Porsche Caiman S, séduisant et non moins gentleman, tu saisis ? Je tenais à te prévenir Alex. Donc, inutile de sortir le jeu malsain de la jalousie … Oui oui, je te vois venir avec ta tronche de diable de Tasmanie mal rasé !! Et s’il y a un malaise, tu es prié de rester chez toi avec ton ballon de rugby !
Sur ce, elle raccrocha, les joues en feu.
Mais quelle mouche l’avait piquée au juste ? Alerte, les quarantièmes rugissants et les cinquantièmes hurlants ! Encore ses sautes d’humeur … Non, non, ce n’était point une histoire d’hormones, mais le fruit certain d’un vent de jalousie direction ouest qui soufflait au niveau du 40ème parallèle sud.
Elle s’affala dans le sofa, honteuse, et rassembla ses esprits. Au fond, Alex était un gentilhomme, excessivement possessif certes. Mais elle non plus n’était pas d’une douceur exemplaire, elle le reconnut. Elle ravala donc sa fierté et s’empara de son smartphone. Dieu merci, il décrochait …
–  Alex ? Euh … je suis navrée mon canari.
–  Tiens donc, serais-je le canari de la pétasse manie ?
–  Eh bien, je ne sais pas ce qui m’a pris là … le stress sans doute. Je te demande pardon … On se voit ce soir ?
–  Ecoute-moi bien chérie : d’abord, ton marmiton tu le fous à la porte.
–  Je le savais.
–  Non mais t’es sérieuse là ? Dis-moi que je rêve ! Pourquoi serait-ce à ton homme de rester chez lui avec son ballon de rugby pendant que sa …
–  Parce que je veux que tout soit parfait pour cette soirée spéciale foie gras poêlé aux légumes sautées. OK ?? Mais à tous les coups, toi tu mets le pied dans le plat.
–  Alors rassure-moi que ce seront bien les légumes qu’on va sauter.
–  Alexandre !!
Elle raccrocha, hors d’elle. Envoya valser son coussin vert pastel au loin.
Une fois de plus, Monsieur jetait de l’huile sur le feu, et tout ça pour une histoire de cuisinier … Elle hallucinait.
Mais le téléphone se remit à sonner.
Bah … tu peux aller te faire cuire un œuf, après tout.
–  Allô ?
–  Bon, on arrête d’aboyer ma puce, drapeau blanc et on oublie tout. Ce soir on dîne ensemble toi et moi. J’ai réservé une table à …
–  Non Alex, toi tu dînes seul.
–  Et ton super grand chef, tu le vires ?
–  Ce n’est qu’un cuisinier, pour l’amour du ciel !
–  Ma chérie, je ne vois vraiment pas pourquoi tu insistes. Tu aurais pu choisir une cuisinière ! … Ma mère par exemple.

Anjajavy, l’île du rendez-vous

Amanda est une îlienne qui croit au Prince Charmant. Elle vit sur son île brûlée par le soleil, coupée du reste du monde, un bout de terre où il ne se passe jamais rien, pendant que son Prince existe – oui il existe … mais à l’autre bout du monde. Sans doute ne la rencontrera-elle jamais.

Toujours est-il qu’elle est décidée à l’attendre.


Il tendit quelques billets, et fourra des poires dans son casque moto.
– Vous n’auriez pas 200 Ariary ? fit la mama derrière son étal de fruits.
Bien sûr, il avait tout.
Yeux rieurs et charmeurs, nez aquilin, lèvres charnues, barbe naissante.
Sous son T-shirt un torse puissant à faire frémir une sainte. Un jeans délavé et des bottes.
Taille, le mètre 85. Cheveux d’un noir de jais.
Certes, il avait tout. Mais pas 200 Ariary.
Amanda défroissait un billet et lui effleura l’épaule.
Amanda elle, n’avait rien – mais avait quand-même 200 Ariary.
Une peau trop noire à son goût.
Des cheveux afros qui sentaient la mer et l’amer. De grands yeux sombres.
Dans sa main des raisins frais et ses lunettes noires.
Alors qu’elle s’éloignait vers sa bicyclette rose, elle sentit derrière elle des pas de bottes qui s’enfonçaient dans le sable. Des pas qui la suivaient.
– Mademoiselle ! Attendez !
Ce fut l’inconnu.
Et une violette.

– Une violette, pour qui ? Pour moi ? Merci mais je ne peux accepter.
– Pourquoi ? Un fiancé ?
– Oui peut-être. Je l’attends depuis longtemps, il n’est jamais venu.
Que lui arrivait-il de raconter sa vie privée à cet inconnu au juste ?
– Alors, il n’existe pas …
– Mais si qu’il existe !  C’est lui, les cartes postales que je reçois. Une fois par mois. Il s’appelle Gaston, il est cuisinier et depuis …
Mais un tourbillon de vent marin ébouriffa ses cheveux, emportant le reste de ses paroles.
L’inconnu caressa sa barbe naissante d’un air faussement ennuyé.
– C’est tout ce que vous savez de lui ? Après tout, il est peut-être marié, votre fiancé fantôme ; des gosses sur les bras, gras et chauve, l’ennui mortel … Vous croyez que lui, vous attend ? De plus, comment voulez-vous qu’il débarque ici sur votre petite île oubliée du reste du monde ?
– Il a promis.
– Donc Mademoiselle collectionne les cartes postales et se moque de ma petite fleur innocente. Excusez-moi mais vous êtes bonne poire, vous …
Elle fronça les sourcils et désigna d’une moue le casque qui pendait à son poignet.
– Occupez-vous plutôt de vos poires !!
Au loin dans les arbres, un sifaka jacassait.
– Ok. Mais moi … je peux vous écrire une carte postale, dites ?
De mieux en mieux. Où voulait-il en venir ? Se sachant séduisant, comptait-il user de son charme comme il avait dû le faire tout au long de sa vie de don juan ? Elle posa ses lunettes noires sur son nez et se mit à rire. Un petit rire sans joie.
– Vous savez, je commence à me dire que je n’aurais pas dû acheter ces raisins … Puis-je compter sur vous pour me lâcher la grappe ?
Pour toute réponse, un éclat de rire retentissant fit fuir le sifaka.
Vite, partir ! Elle enfourcha sa bicyclette rose.
Et d’abord, que faisait-il ici, cet hurluberlu à moto et au casque bourré de poires ?
Cuire un chausson pour le dessert, sans doute ?

En tout cas, elle s’estimait ne pas être assez tarte pour le déguster à ses côtés.


La suite à découvrir :

Timbré et Au cœur de la nuit

Au cœur de la nuit

Au cœur de la nuit est la suite du billet Anjajavy, l’île du rendez-vous et Timbré


Amanda braqua sa torche sur le minuscule corps couché dans les feuillages.
Il n’avait pas bougé.
Le pâle faisceau de lumière balayait les branches, et elle soupira.
Cela faisait deux jours qu’il n’avait pas touché aux dés de fruits qu’elle y plaçait un peu partout chaque soir.
–  Ton aye-aye n’a pas dîné ?
Cette voix … Oui, c’était bien sa voix.
Son cœur fit un bond.
Mais diantre, que faisait-il ici ? A cette heure de la nuit ?
Elle s’abstint toutefois de tourner la tête.
D’ailleurs en position assez complexe, en équilibre sur une branche, dos plaqué contre le tronc de son arbre, ce n’était guère le meilleur moment pour exécuter la chute magistrale, aussi gracieuse soit-elle.
–  Il a besoin de soins, fit-elle en examinant l’animal de plus près. Je dois lui faire une injection en urgence.
La torche entre les dents, elle défit son paréo aux soleils bleus, le plia en quatre.
Fit des nœuds sur les bouts, plaça le petit corps chaud dans la paume de sa main et l’installa au fond des soleils bleus.
Puis elle sauta à terre, et croisa enfin son regard.
Gaston, debout dans un carré sous la lueur de la lune.
L’air amusé, parcourant des yeux sa peau.
Elle qui oubliait qu’elle était en deux-pièces.
–  Que fais-tu ici ? souffla-t-elle.
–  Drôle de question. Je n’ai pas le droit ?
A travers la pénombre, Amanda vit un sourire se dessiner sur son visage, sourire qui semblait commenter ses courbes et sa quasi nudité.

Troublée.

Vite, jeter la lampe torche dans sa besace.
Se faufiler en hâte entre les arbustes.
Vite, prendre la fuite. Encore une fois.
Mais il la rejoignit à grandes enjambées.
Cap vers Anjajavy le Grand Hôtel.
Seul le bruit des brindilles, qui craquaient sous leurs tongs.
–  On retrouve combien d’aye-aye dans cette forêt ? s’enquit-il, brisant le silence.
–  Une petite dizaine. C’est un animal solitaire et nocturne, qui ne se reproduit pas comme les lapins, malheureusement …
–  Dommage. Je les aime déjà.
–  Mais il n’y a pas que les ayes-ayes ici.
–  Je sais. A la plage, c’était presque désert. Mais de petits crabes et des tortues de mer m’ont tenu compagnie.
A son grand soulagement, le complexe hôtelier s’annonça enfin. Ils contournèrent la terrasse en bois de palissandre, d’où naissaient les rires et les cliquetis des couverts et des verres en cristal. Puis traversèrent encore une clairière et finalement atteignirent une discrète construction de bois derrière les taillis.
Amanda poussa une porte, et la lumière inonda la pièce. Ce fut la salle des soins.
Puis Gaston lui prit des mains le paréo et coucha l’aye-aye sur la paillasse, au moment où elle préparait l’injection.
Sans mot dire, il dégagea la petite patte repliée sous la cuisse.
Respiration saccadée.
Légers soubresauts, presque imperceptibles.
Regard inexpressif.
Amanda alluma la grosse lampe, dirigeant le jet de lumière sur la fourrure immobile.
–  Il a un hématome au-dessous de la côte. Peux-tu lui raser cette partie-ci, juste avant le coude … On va le mettre sous sérum, du moins cette nuit.
L’aiguille disparut sous la fourrure brune, pendant que Gaston s’exécutait.
–  Je fais baisser la fièvre.
Elle sourit. Les gestes étaient bien précis. Lentement dirigés.
Une petite veine se révéla alors au-dessous de la peau, sous laquelle la deuxième aiguille y disparut aussitôt.
–  Beau travail, fit-elle. Il va dormir comme un loir toute la nuit. Demain, on examine son hématome de plus près.
Alors, il se pencha vers elle et déposa de petits baisers sous le lobe de son oreille. Puis au creux du cou.
Elle tressaillit. Ses baisers étaient presque brûlants.
–  C’est sexy, un vétérinaire des îles en bikini, murmura-t-il.
Elle qui avait toujours rêvé de leur première rencontre et du premier baiser à l’aéroport, avec un bouquet de fleurs …
Mais il n’y avait point d’aéroport. Point de fleurs.
Juste un aye-aye endormi sur son paréo aux soleils bleus.

Mais à quoi bon ? Quand ses lèvres se posèrent sur les siennes, elle avait de toute façon perdu les pétales pédales.