Foulpointe m’accueille un matin d’été.
Foulpointe, le village exotique en bord de mer à l’Est de l’île, là où les écrevisses frémissent dans l’huile sous les cocotiers.
Distillant encore les traces odorantes des filets de pêche d’une nuit sans étoile, un pêcheur décati dans sa pirogue défraîchie grappille ses derniers instants de sérénité. La peau tannée, la barbe et les cheveux blancs – tel le négatif d’une photo – il regarde se dissiper les derniers nuages effilochés. Mais ses yeux globuleux soulignés de pommettes saillantes rappellent un hippocampe. La soupe de poisson de la veille ne lui a laissé que le souvenir d’un lointain festin. Ses doigts ridés ont besoin de toucher des billets verts. L’hippocampe ne rêve même plus de partir à la conquête du monde à moto.
Nos regards se croisent, il ose alors me proposer un forfait découverte serpents et concombres de mer, pour la somme rondelette de 15,000 Ariary.
— Alors ? demande-t-il, haussant un sourcil broussailleux presque las.
Alors commence la traversée à bord du frêle esquif, rythmée des clapotis des vagues contre la coque. Ce silence ennuie l’hippocampe. Lui, aurait aimé ouïr le rugissement dans un jet de sable d’une Yamaha Sport Touring Tracer 900 moteur trois cylindres, et voir fuir à grande vitesse au cœur de son rétroviseur, ce paysage monotone et sans intérêt. Mais il aperçoit plutôt frémir à la surface de l’eau le reflet de ses biceps, pendant qu’il s’active à propulser l’embarcation vers le bleu d’un horizon où il ne se passe jamais rien. Oui, jamais rien ! Pendant ce temps, le village dormant s’éloigne de nous.
L’hippocampe immobilise subitement sa pirogue. Pour cueillir le serpent et les concombres de mer – mais aussi afin d’espérer sentir froufrouter les billets verts entre ses doigts – il doit marcher dans les eaux marines incertaines. Alors, tel un champion de motocross vainqueur du Grand Prix de la dernière saison, il exhibe son trophée : le corps mou et dégoulinant d’un étrange serpent qui pend à la manche de sa pagaie .
— Serpent de mer, annonce-t-il.
Flash d’un appareil photo.
Puis la paume de ma main accueille un corps vert oblong de la taille d’un concombre.
— Concombre de mer, poursuit-il.
Enfin, des oursins aux piquants pointés vers le ciel, l’est l’ouest le nord et le sud, rejoignent la collection de trouvailles.
— Oursins. Saviez-vous que le noir est un mâle et la mauve une femelle ? dit l’hippocampe, gouttant de perles d’eau.
— Merci l’ami … Je ne savais pas.
Et il disparaît à nouveau sous l’eau, puis resurgit armé d’une demi-douzaine de coquilles hérissées.
— Rajoutez 10,000 Ariary si l’aquarium vous tente, Mademoiselle.
— L’aquarium ?
— Les eaux profondes où fusionnent des poissons multicolores.
Sourire vorace au coin des lèvres, Hippocampe rame à nouveau, tandis que le soleil répand sur les eaux profondes les rayons impassibles d’une fureur incandescente.
Et tout à coup, d’un coup sec d’une pale de pagaie, les oursins partent en mille morceaux. Hippocampe jette à l’eau les miettes épineuses et prie en silence pour que les poissons, tout comme lui, n’aient pas encore déjeuné. Il angoisse un peu … Houhou … y a quelqu’un ? Oui, et comment ! Poissons zébrés et horde de petites nageoires multicolores répondent à l’appel, foisonnant en surface.
Hippocampe, victorieux, pense déjà au futur bol de riz garni pour sa famille.
Alors, il tente sa chance, même s’il sait qu’il ne chevauchera jamais sur sa Yamaha Sport Touring Tracer 900 moteur trois cylindres.
— Pour le forfait étoiles et dragons de mer, ce sera 20,000 Ariary en plus.